Luxe et désinformation : Hermès au cœur d'une guerre d'influence numérique orchestrée depuis la Chine

Une guerre invisible se joue sur TikTok. Et elle ne concerne ni la politique, ni l’énergie, ni la guerre froide technologique. Elle vise… le luxe européen.

Depuis une dizaine de jours, une campagne virale sur TikTok accuse Hermès de délocaliser sa production en Chine. Derrière ces vidéos, souvent habillées de faux témoignages ou de montages « preuves à l'appui », les experts soupçonnent une offensive de désinformation d’origine chinoise, ciblant les fleurons du luxe occidental.

Hermès a immédiatement réagi, en profitant de l’annonce de la création de son 10e pôle régional de maroquinerie en France, prévu pour 2028. L'entreprise y réaffirme clairement son ancrage national :

« La maroquinerie de Colombelles sera la 27e maroquinerie de la maison ; elles sont toutes situées en France. »

La maison, qui emploie plusieurs milliers d’artisans en France, souligne également son engagement historique pour l’emploi local et la transmission des savoir-faire.

Pourquoi viser Hermès ?

Hermès est bien plus qu’une marque. C’est un symbole de l’artisanat français, du luxe durable et du prestige mondial. Dans un contexte géopolitique tendu, affaiblir une telle icône par le doute ou la confusion, c’est aussi éroder la confiance dans les savoir-faire européens.

D’autant plus que la Chine, premier marché mondial du luxe, développe depuis plusieurs années ses propres champions. Une stratégie d'influence numérique pourrait viser à détourner une partie des acheteurs chinois des marques européennes au profit d’acteurs nationaux ou alliés.

Cette guerre de l’image, typiquement asymétrique, se joue via des canaux difficilement régulables : TikTok, plateforme à forte audience jeune, dont l’algorithme est opaque et sous influence du pouvoir chinois.

Le "Hermès Game" : une frustration amplifiée

Cette campagne s’inscrit aussi dans un climat de frustration croissante lié à la rareté des sacs Birkin et Kelly. Cette rareté, réelle et entretenue, alimente un écosystème secondaire de rumeurs, d'attentes, et de stratégies d’accès — le fameux “Hermès Game”.

En manipulant cette frustration légitime, les vidéos de désinformation trouvent une caisse de résonance émotionnelle puissante.

Cucinelli, la réponse silencieuse

Alors que Hermès est visé, Brunello Cucinelli, autre figure de l’artisanat européen, trace une trajectoire paisible mais puissante. Le couturier-philosophe italien a encore surperformé le marché du luxe au 1er trimestre 2025, avec une croissance de +10%, après déjà +12,2% en 2024.

Lui aussi incarne l'ancrage local — son village de Solomeo, en Ombrie, est le cœur battant de sa marque. Il n’externalise pas, il investit : 10% de son chiffre d’affaires en 2025, dans un nouvel atelier pour 350 artisans.

Sa vision ? Peu de pièces, très chères, mais d'une qualité absolue. Un T-shirt commence à 360€. Et 20% des profits partent chaque année dans des projets philanthropiques.

Cucinelli ne crie pas sa vérité sur TikTok. Il la montre dans ses actes.

Une leçon stratégique pour le luxe

Face aux attaques informationnelles, Hermès et d’autres marques n’ont d’autre choix que de renforcer leur transparence, leur pédagogie, et leur communication directe. Mais ils peuvent aussi s’inspirer de la résilience à l’italienne : incarner leur promesse, en faire un pilier culturel et économique, et construire une relation de confiance à long terme.

La guerre de l’attention, et désormais de la désinformation, est une réalité. Dans le luxe, elle ne se mène pas avec des slogans, mais avec des ateliers, des gestes, et de la cohérence.